3 panoramas depuis 3 points de vue sur le site d'implantation
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Dans cette partie de l'atlas traitant de l'idée de point de vue et de l'importance des ouvertures du bâtiment, nous tenterons de construire un réseau de références. Ce réseau de références mêlera sans hiérarchie des éléments du site d'implantation de la résidence universitaire, des références théoriques, des extraits de textes ou des images afin de former un corpus pouvant aider à penser les fenêtres dans toute leur complexité.
La photographie satellite ci-dessus permet de localiser trois points de vue choisis comme étant les potentiels bords de la future résidence universitaire et donc les potentiels paysages disponibles aux yeux des habitants. Chaque panorama (disponible en cliquant sur les numéros) constitue un de ces points de vue pris à une hauteur de 170 cm en partant du sol.
Les fenêtres sont les organes perceptifs d'un bâtiment. Ils influencent de par leur forme, leur placement ou leur nombre la relation qu'entretiendra l'habitant avec le monde extérieur. La fenêtre devient alors quelque chose qu'il faut penser comme un lieu de retranchement, un milieu, un médium, toujours bloqué entre un extérieur et un intérieur, un perçu et un percevant, un montré et un caché, un interstice entre la maison et le reste du monde.
Dans son ouvrage «Faire: Anthropologie, archéologie, art et architecture» publié le 2 mars 2017 par les éditions dehors, Tim Ingold nous raconte une expérience qu’il a réalisée avec ses étudiants en Écosse.

Cette expérience a pour but de mettre à l’épreuve l’idée selon laquelle ce serait « la perception qui donne forme au monde alentour ». Prenant pour lieu d’expérimentation la ruine d’une ancienne ferme en haut d’une colline, Tim Ingold et ses étudiants construisent un cadre en tasseaux de la dimension d’une porte qu’ils viennent insérer dans l’espace originellement conçu pour accueillir la porte de la ferme. En faisant l’expérience de rentrer et de sortir par cette porte ils tombent tous d’accord pour dire que ce cadre en bois provoque presque à lui tout seul un sentiment de dedans et de dehors. Le fait de passer au travers dans un sens ou dans l’autre suffit pour rétablir les notions d’intérieur et d’extérieur dans la ferme détruite. Il conclut en affirmant qu’« il n’y a d’intérieur et d’extérieur que pour celui qui entre et sort, et non pour le regard de celui qui se contente de voir la délimitation entre ces deux espaces ».

Tim Ingold et ses étudiants vont ensuite construire un cadre en bois rectangulaire de la dimension approximative d’une fenêtre pour venir l’emboiter dans les ruines d’un ancien fort plus haut sur la colline (voir photographie ci-contre). Les conclusions tirées de cette expérience sont les suivantes : L’intérieur du cadre n’apparaît pas plus « pictural » que l’extérieur du cadre au moment où ils y regardent, mais sur les photos prises et développées plus tard, tout le monde s’entend pour dire que la forêt délimitée par le cadre en bois se laisse voir comme une peinture de paysage.

Cette expérience simple permet de tirer quelques conclusions importantes pour penser les ouvertures : Elles sont les éléments qui structures la dialectique dedans/dehors et elles sont toujours des cadres, même sans murs pour les y introduire.
L'experience de Tim Ingold en Ecosse
Un objet au milieu
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pour lire l'extrait en entier :
Différentes cultures de la fenêtre en lien avec l'art pictural
"Les images – des illustrations sur rouleau de contes et récits ou de thèmes bouddhistes – sont souvent formées d’un ensemble de scènes distinctes, séparées les unes des autres par des bandes ou des nuages. Mais il s’agit bien d’un point de vue unique : au lieu de dépeindre des scènes sur le modèle de la fenêtre albertienne, les artistes japonais montraient différents événements à différents moments dans un même espace pictural, à la manière d’une bande dessinée. L’infini optique est aussi manifeste dans le traitement des sujets humains, qui ont pratiquement tous la même taille quel que soit leur emplacement dans la profondeur de la scène. enfin, ces scènes illustrent l’usage systématique d’un point de vue très élevé, en plongée, et la pratique de représenter les maisons sans toit, ce qui permet d’apercevoir ce qui s’y passe. de ce fait, le spectateur n’est pas placé par la perspective dans la conception de l’image, comme c’est le cas dans la peinture européenne ; ce qu’il aperçoit est un monde en soi, non un prolongement du moi."

Extrait du cours intitulé "ontologie des images (suite et fin)" de Philippe Descola, Chair "Anthropologie de la nature" au collège de France, p.692
Dans le premier tome de la série "Penser l'image" édité par Emmanuel Alloa, "Hans BELTING propose une mise en regard de la conception de l'image comme fenêtre transparente avec ce qui constituerait la forme symbolique du monde arabe : le moucharabieh comme ce qui exfiltre le regard tout en laissant transparaître la lumière." (Introduction, Emmanuel Alloa : Entre transparence et opacité – ce que l'image donne à penser).
Hans Belting nous parle dans ce court essai de la différence entre la conception occidentale de la fenêtre et la conception orientale de la fenêtre.

En Occident, et ce particulier̀rement depuis l’introduction de l’idée de perspective dans l’art pictural, la fentêtre est considérée comme un espace de regard. Elle marque une scission entre le dedans et le dehors, elle est le cadre nécessaire à̀ toute veritable observation.

Mais la fonction de la fentêtre n’est pas du tout là me dans l’architecture des pays arabes et de ce fait, sa symbolique non plus. En Orient, du moins traditionnellement, les ouvertures des foyers filtres la lu mière grace à̀ des grillages appelés moucharabiehs. Objet sculpté qui vient projeter son ombre à l’Intérieur des architectures, dessinant ainsi la lu mière qui y entre.


Hans Belting, la moucharabieh
Philippe Descola, la peinture japonaise
Le conte du coupeur de bambou, 1600-1700 environ, titre en langue d'origine : 竹取物語
Alberti et l'origine de la perspective
À la Renaissance, Alberti, théoricien de la peinture écrit dans son de Pictura : « Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, et qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire (historia) ». Cette conception de la toile comme une fenêtre et de la fenêtre comme un des lieux privilégiés du regard va considérablement bouleverser notre rapport au monde :

-Anthropocentrisation des points de vue (le seul regard à notre disposition devient celui offert par nos propres yeux, toute notre perception de la lumière du monde passe par ce canal)

-Renforcement des pensées bilatérales selon lesquelles il y aura l’humain d’un côté et la nature de l’autre. Ce rapport au monde prend corps dans la dialectique de la fenêtre basée sur l’opposition dehors/dedans et par extension cette même dialectique entraine un éloignement de l’humain du reste du monde (observateur derrière la fenêtre).

-Capacité à percevoir des espaces tridimensionnels dans des surfaces bidimensionnelles (cette capacité est quelque chose qui s'apprend, Piaget dans son ouvrage intitulé "la représentation de l’espace chez l’enfant" paru en 1947 situe le moment ou l'enfant a totalement emmagasiné cette notion vers l'âge de 9 ou 10 ans.)
Della pittura, Rayons extrêmes, p. 311 (Alberti, Opuscoli morali, 1568)
Images de la fenêtre dans l'art
Samuel Van Hoogstraten, “l’homme à la fenêtre” 1653
Rene Magritte, 1936, "La Clef des champs"
Marcel Duchamps, "Fresh Widow", 1920
Stéphanie MAJORAL, "L’œil à la fenêtre", 1998
Andy Goldsworthy, "Woven branch circular arch", 1986
Clément Rodzielski, vue d'exposition à la galerie Chantal Crousel, 2011
Daniel Buren, Städtisches Museum Mönchengladbach, 1975
Michelangelo Pistoletto, "Metrocubo d'infinito"(Mètre cube d'infini, série des objets en moins), 1966
Hans Haacke, "condensation cube", 1965
Daniel Dezeuze, Echelle de bois souple, 1976